- CHAMITO-SÉMITIQUES (LANGUES)
- CHAMITO-SÉMITIQUES (LANGUES)Le terme de chamito-sémitique par lequel on désigne une importante famille de langues d’Asie et d’Afrique renvoie au chapitre X de la Genèse où se trouve énumérée la postérité des fils de Noé. La correspondance est cependant loin d’être rigoureuse entre les descendants de Cham et de Sem, selon la tradition biblique, et les peuples qui parlent les langues dites chamito-sémitiques. De même, il n’y a pas lieu de déduire de la composition double du terme l’existence d’un «chamitique» à côté du sémitique. En réalité, la famille des langues chamito-sémitiques est formée non de deux, mais au moins de quatre branches, sans qu’il soit possible de supposer des rapports spécialement étroits entre certaines d’entre elles.Tableau des langues chamito-sémitiquesLe berbère , parlé aujourd’hui au Maghreb, en Libye, au Sahara, ne nous est connu pratiquement que sous sa forme moderne. Il est probable cependant que les inscriptions dites libyques découvertes en Afrique du Nord, et dont la seule datée remonte à 139 avant J.-C., représentent une forme de berbère. Le guanche , qui a été parlé aux Canaries jusqu’au XVIIe siècle, a été souvent rattaché à l’ensemble berbère.L’égyptien nous est connu par des documents en diverses écritures hiéroglyphiques (monumentale, hiératique et démotique) s’échelonnant du IVe millénaire avant J.-C. au Ve siècle après J.-C. Le dernier texte hiératique connu date du 24 août 394, soit dix ans après la fermeture des temples d’Égypte par Théodose. La dernière inscription démotique connue date de 452/453. Le copte , mot générique désignant une série de dialectes, est l’ultime forme de l’égyptien. Constitué vers le début de notre ère, après quelques essais timides au IIe siècle avant J.-C., il a été écrit jusqu’au XIe siècle et parlé jusqu’au XVIe ou XVIIe siècle, peut-être plus tard selon certains témoignages isolés. Seul le dialecte du nord (ou bohaïrique ) a survécu en demeurant, avec l’arabe, la langue liturgique des chrétiens d’Égypte.La branche dite couchitique est constituée par un ensemble de langues fort diverses qui occupent en partie la corne orientale de l’Afrique avec des débordements au nord et à l’ouest. On distingue au nord (Soudan oriental et sud-est du désert égyptien) le bedja ; au centre (Érythrée et Abyssinie centrale) l’agaw ; à l’est l’afar-saho entre la mer Rouge et le plateau abyssin, le somali de Bab-el-Mandeb au Kenya; le galla au milieu du plateau abyssin, le sidamo au nord du lac Rodolphe; à l’ouest, le djandjero et l’ometo dans la région de l’Omo, le kaffa au sud-ouest du plateau abyssin.Au groupe sémitique appartiennent quelques-unes des langues de civilisation les plus importantes de l’histoire de l’humanité. Attesté dès le IIIe millénaire, il survit encore dans certains de ses idiomes à travers de vastes régions du globe. On classe traditionnellement ces langues selon une division géographique est-ouest (et, pour l’ouest, une division nord-sud) qui rend compte aussi, globalement, des faits linguistiques et historiques. Cependant la découverte récente (1975) de l’importante bibliothèque d’Ebla (Tell Mardikh, en Syrie) qui a révélé une documentation datée du milieu du IIIe millénaire, conduira vraisemblablement, quand l’analyse en sera plus avancée, à nuancer cette présentation dans la mesure où l’éblaïte , attesté dans le domaine occidental, présente des caractères qui le rapprochent du sémitique oriental. Voici les langues sémitiques les plus importantes avec leurs dates extrêmes d’attestation:– Sémitique oriental: akkadien (langue de l’empire mésopotamien, documents en caractères cunéiformes du IIIe millénaire jusqu’aux environs de l’ère chrétienne).– Sémitique occidental du Nord: ougaritique (nord de la côte syrienne, vers le XIVe siècle av. J.-C.); cananéen , constitué lui-même par le phénicien (Syrie-Palestine, du IXe siècle av. J.-C. au IIIe siècle apr. J.-C.) avec sa variété punique (Carthage, IVe siècle av. J.-C. au IIIe siècle apr. J.-C.); moabite (inscription du IXe siècle av. J.-C. au sud-est de la mer Morte); hébreu (ancien en Palestine, du début du Ier millénaire av. J.-C. aux premiers siècles de notre ère, hébreu moderne dans le nouvel État d’Israël); araméen (sous diverses formes à travers le Proche-Orient du IXe siècle av. J.-C. à nos jours; le syriaque , variété d’araméen parlé originellement à Édesse, est aujourd’hui la langue liturgique des chrétiens d’Orient); l’arabe (connu par quelques inscriptions en Arabie septentrionale dont certaines sont du IIe siècle av. J.-C., puis, à partir du VIIe siècle, par une abondante littérature; il s’est étendu, grâce à l’expansion de l’Islam, à tout le Proche-Orient, au nord du continent africain et à l’archipel maltais, et, pour un temps seulement, à l’Espagne, à la Sicile et à diverses îles méditerranéennes); le sudarabique (attesté par de nombreuses inscriptions dans les régions côtières à l’ouest et au sud de l’Arabie à partir du IVe siècle av. J.-C.; il n’est plus parlé que sur quelques points de son ancien domaine); les langues éthiopiennes (guèze , ou éthiopien classique à partir du IVe siècle; tigré et tigrigna , parlés actuellement au nord; amharique , langue officielle de l’Empire éthiopien; gafat , argobba , harari , gouragué au centre et au sud).Les spécialistes proposent de rattacher au chamito-sémitique certaines langues parlées dans la région du lac Tchad et dont la plus importante est le haoussa .Préhistoire du chamito-sémitiqueLa documentation remontant au IVe millénaire, le chamito-sémitique est la famille la plus anciennement attestée que nous connaissions. Il est remarquable qu’elle le soit à travers un domaine géographique pratiquement inchangé dans le cours de l’histoire: nord de l’Afrique avec l’Égypte, corne orientale, Proche-Orient avec la presqu’île arabique. Aussi haut qu’on remonte dans le temps, les langues chamito-sémitiques sont les langues de la bordure méridionale et orientale de la Méditerranée.Mais, dans ce vaste ensemble, on n’est pas en mesure de localiser avec précision le foyer primitif de l’expansion sémitique. L’hypothèse la plus courante propose, de manière très approximative, la région formée par le nord-ouest de l’Afrique et l’Arabie. Il n’est pas non plus facile de situer dans le temps l’état unitaire à partir duquel se sont différenciés les idiomes que nous connaissons. Dès le IIIe millénaire, les branches attestées, le sémitique et l’égyptien, sont fortement dissemblables. Or, tout permet de penser que l’évolution des langues chamito-sémitiques est relativement lente. Ainsi entre l’akkadien ancien et les langues sémitiques parlées aujourd’hui, les ressemblances sont assez importantes pour que leur parenté apparaisse immédiatement. La séparation du sémitique et de l’égyptien, pour avoir abouti dès le IIIe millénaire à des différences aussi considérables, doit donc avoir été déjà fort ancienne, remontant au moins à un millénaire, peut-être davantage. En tout cas, il ne semble pas vraisemblable que le stade commun ait pu persister au-delà du Ve millénaire.Les grandes différences n’ont cependant pas éliminé un certain nombre de traits communs, profondément caractéristiques, qui permettent de définir une structure d’ensemble.Structure linguistiqueLe système phoniqueLe consonantisme est d’une grande richesse. L’état le plus ancien auquel la grammaire comparée permet d’accéder semble avoir comporté vingt-sept phonèmes. Une partie de ces phonèmes est réalisée à des points postérieurs extrêmes de l’appareil phonatoire: voile du palais, pharynx et larynx. Ainsi, les langues chamito-sémitiques attestent l’existence de deux consonnes vélaires, deux pharyngales, deux laryngales. Ces consonnes d’arrière se présentent par paires, avec une sonore (comportant des vibrations des cordes vocales) et une sourde (sans vibrations). Mais pour d’autres consonnes, celles qui s’articulent dans la région comprise entre les dents et la voûte palatine, le système comporte un troisième phonème avec des traits spécifiques, pour chaque point d’articulation. En berbère ou en arabe, la réalisation de ce troisième phonème s’accompagne d’un mouvement de l’arrière-bouche et d’une constriction du pharynx. Dans les langues éthiopiennes, ces phonèmes de la troisième série mettent en jeu une occlusion glottale concomitante à l’articulation propre.Le système vocalique est pauvre. En tout trois timbres: a , i , u , réalisés sous des quantités longues ou brèves. De très nombreux dialectes arabes, par exemple, fonctionnent avec quatre ou cinq voyelles, tandis que le berbère (à l’exception du parler des Touareg) n’en connaît que trois.L’énoncéOn peut répartir l’ensemble des formes en trois classes: les verbes, les nominaux, les particules. Dans un énoncé complet (sujet-prédicat), un nominal peut être sujet ou prédicat. Un verbe peut être prédicat d’un sujet nominal ou constituer par lui-même un énoncé complet. Un énoncé a donc toujours l’un des schèmes suivants: N + N; V + N; V (N désignant un nominal avec ses expansions, V un verbe avec ses expansions).Un verbe chamito-sémitique est constitué par un ensemble de thèmes différents fondés sur un même radical. Au thème fondamental, le radical apparaît sous sa forme la plus simple. Mais des augments divers, internes ou externes au radical, permettent de former des thèmes dérivés qui modifient la notion de base. Ces procédés de dérivation sont de deux sortes principales:– Augmentation interne du radical, en particulier par répétition ou gémination d’un de ses éléments (égyptien h ’g , «être joyeux»; h ’g ’g , «exulter»; arabe qatala , «tuer», qattala , «massacrer») ou par insertion d’un â long après la première consonne radicale (arabe kataba , «il a écrit»; kâtaba , «il a correspondu avec»).– Affixation de morphème: par exemple, l’affixation d’un morphème, s , š , k ou ’ selon les langues, au thème verbal lui confère une valeur «causative» ou «factitive»: akkadien kanâšu , «se soumettre», suknûšu , «soumettre»; égyptien nfr , «être beau», snfr , «rendre beau»; berbère (kabyle) ban , «paraître», sban , «manifester»; bedja kem , «voir», skem , «montrer». D’autres affixes, t et n , déterminent une valeur «interne» qui permet des emplois de réfléchi ou de passif.Chacun de ces thèmes, simple ou dérivé, se conjugue selon un double paradigme par lequel s’exprime l’opposition d’aspect. L’expression du temps situé (présent, passé, futur) est en effet secondaire dans le verbe chamito-sémitique. Celui-ci est fondé, dans les états les plus archaïques connus, sur l’aspect intrinsèque de la notion, selon que l’attention doit être attirée sur le déroulement du procès ou au contraire sur le contenu verbal considéré comme un état durable. En akkadien, par exemple, du verbe balâ レu , «guérir», on tire une forme stative, bali レ , qui signifie «il était, est, sera sain», et deux formes processives qui envisagent la guérison comme déjà accomplie: iblu レ , «il a guéri», ou bien non encore accomplie: iballu レ , «il entre en guérison, il guérira, il sera guéri». Dans la majorité des langues, cependant, c’est l’opposition, historiquement secondaire, d’un aspect accompli à un aspect inaccompli qui est seule représentée. Ainsi, en arabe, on ne dispose que d’une forme, katab-ta , pour dire, selon le contexte, «tu as écrit, tu as fini d’écrire, tu avais écrit» et même «tu auras écrit», et d’une autre, ta-ktub-u , pour signifier «tu écris (en ce moment ou habituellement), tu écriras, tu écrivais».Dans ce dernier exemple, le trait principal par lequel se différencient les deux formes aspectives est constitué par la place de l’élément ta qui est une marque pronominale. Il en est ainsi dans toutes les langues sémitiques occidentales. En sémitique oriental comme en berbère, la marque pronominale est toujours préfixée au thème verbal, alors qu’en couchitique elle est toujours suffixée. L’opposition aspective est alors exprimée par la structure du thème, comme en akkadien: iblu レ /iballu レ , ou par la forme des éléments post-radicaux, comme en somali: ‘un-a , «je mange»; ‘un-ay , «j’ai mangé».Outre les marques personnelles qui constituent les éléments flexionnels du verbe, il existe deux séries de pronoms personnels : une série de formes autonomes et une série de formes affixes. Affixé à un verbe, le pronom en constitue le complément direct, tandis que son annexion à un nom constitue l’expression normale de la relation de «possession». Ainsi, en sidamo (couchitique), intanne-ho signifie «nous l’avons mangé» (littéralement: «nous avons mangé lui»), et umo-ho , «sa tête» (mot à mot: «tête lui»).La flexion des nominaux connaît des distinctions de genre (masculin et féminin), de nombre (singulier, duel, pluriel) et de cas. Mais ces distinctions ne sont attestées entièrement que dans quelques langues.Un trait remarquable de la syntaxe des nominaux est ce qu’on appelle l’«état construit», dans lequel une forme adjointe à une autre sans aucun terme de liaison constitue une sorte de composé occasionnel: ainsi, les termes coptes goobe , «feuille», et face="EU Caron" ゼoyit , «olivier», deviennent en état construit geb- face="EU Caron" ゼoyit , «feuille d’olivier».Structure du motLes langues chamito-sémitiques sont des langues à racines apparentes. À l’exception de quelques mots outils, dans toute forme, quelles qu’en soient la longueur et la complexité, on peut repérer immédiatement une racine , c’est-à-dire une suite de phonèmes qui en définissent la base lexicale et par laquelle elle se rattache à un ensemble d’autres formes. Ainsi, en arabe, une série comme ムamala , «il a porté», i ムtamala , «il a supporté», ムammâl , «portefaix», ムawâmil , «jambes», ma ムmil , «matrice», etc., a pour base commune les trois consonnes ネML qui s’y retrouvent partout dans le même ordre, même si elles sont séparées l’une de l’autre par un ou plusieurs autres phonèmes (par exemple, dans i ネtaMaLa , ネawâMiL ). Cette racine exprime ici la notion de «porter» qui est présente dans le sens de chacune des formes. Les autres déterminations sémantiques sont fournies par les éléments qui viennent s’ajouter aux consonnes radicales. Ces éléments constituent des ensembles définis, des schèmes , qui peuvent avoir une valeur sémantique précise. L’ensemble ma —i -(= ma + consonne + consonne + i + consonne ), par exemple, désigne le lieu où se déroule un procès quelconque. Si on le combine avec une racine comme ネML , on obtient ma ネMiL , «lieu de la gestation, matrice»; avec une racine NZL , «descendre, mettre pied à terre», on aura maNZiL , «lieu où on descend, auberge».En arabe au moins, un mot apparaît toujours comme le produit de la conjonction d’une racine et d’un schème. Les faits ne sont pas rigoureusement semblables dans toutes les autres langues chamito-sémitiques; mais les bases du fonctionnement sont partiellement communes à l’ensemble de la famille.Il faut noter que la racine est formée en berbère, en égyptien et en sémitique, généralement de trois, parfois de quatre ou deux consonnes. En couchitique, où les racines tri-consonantiques sont également fréquentes, le type dominant est celui qui est formé par la succession consonne + voyelle + consonne.
Encyclopédie Universelle. 2012.